L’AFSI a participé au colloque National de la MIVILUDES, à Lyon le 26 novembre 2009
Discours de clôture du colloque, par M. Bockel, secrétaire d’Etat à la Justice :
Puisqu’il est l’heure de conclure, je veux saluer la MIVILUDES pour la richesse et la haute tenue des travaux qui viennent de se dérouler, dont je veux croire qu’ils apporteront de nouveaux outils pour la connaissance du phénomène sectaire, sans lesquels l’Etat de droit verrait son action, incomplète voire inefficace. Je veux également saluer son président, Georges Fenech, qui n’a de cesse de mobiliser le plus grand nombre sur ce combat difficile mené contre les dérives sectaires.
L’ensemble des contributions entendues tout au long de cette journée constituent un apport indispensable à la compréhension des dérives sectaires comparables aux virus mutants, qui diffusent sous des formes souvent insidieuses le poison de la manipulation des conduites humaines et des esprits, attentatoires à la dignité des personnes et aux libertés fondamentales.
Une volonté sans cesse réaffirmée depuis le rapport Vivien en 1983, jusqu’à la création de la MIVILUDES visant à protéger les citoyens des dérives constatées dans l’activité des organisations de caractère sectaire.
Un phénomène sectaire en constante évolution qui rend nécessaire notre mobilisation de chaque instant pour analyser et prendre les mesures nécessaires.
Une vigilance qui cependant doit veiller à respecter le principe de liberté de conscience dont il découle un principe de neutralité de l’Etat à l’égard de toutes formes de croyance ou de culte.
Mais une neutralité tempérée par la nécessité de garantir les libertés fondamentales et de prémunir la société contre toute atteinte à la dignité des personnes.
Une nécessité de comprendre et d’évaluer un phénomène en perpétuelle mutation, générateur de nouveaux risques liés à l’utilisation notamment de l’internet.
[…]
Il est nécessaire que l’action de l’Etat pour combattre les dérives sectaires s’inscrive dans le respect de la liberté de conscience tout en protégeant les victimes (I)
Pour cela il dispose d’un arsenal juridique cohérent qui pourrait être étendu à l’échelle d’un espace judiciaire européen (II)
I – Une problématique générale nuancée : Agir pour prévenir et combattre les dérives sectaires en garantissant les libertés individuelles, tout en respectant les principes constitutionnels de la liberté de conscience.
I-1 Une meilleure intelligibilité du phénomène sectaire est indispensable
Une capacité de l’Etat républicain à élaborer de véritables politiques publiques dédiées aux phénomènes sectaires.
Un éclairage affiné notamment par la production des rapports annuels de la MIVILUDES (dérives sectaires affectant l’accès à l’emploi et à la formation, déviances sataniques, dévoiements des pratiques psychothérapeutiques à des fins sectaires, stratégies d’influence internationale de la mouvance sectaire.
Nécessité d’inscrire cette réflexion dans un contexte d’ensemble : diversité religieuse, individualisation de la société allant de pair avec une quête orientée vers l’épanouissement personnel et l’émergence de syncrétismes religieux singuliers.
Le phénomène sectaire s’analyse alors comme une pathologie de la croyance » sur fond d’individualisation et de dérégulation de la croyance.
Le fait sectaire est caractérisé également par l’importance conférée aux formes charismatiques de l’autorité, d’où il résulte un dispositif qualifié de secte sociologiquement, que l’on peut reconnaître avec Danièle Hervieu-léger sous trois caractéristiques majeures :
un socle de certitude (le kit de vérité)
une culture de la performance ;
le primat de la forme charismatique.I-2 Si la secte peut être cernée en tant qu’objet social, elle demeure pourtant un objet juridique non identifié, c’est-à-dire non défini juridiquement
Le droit ignore la notion de secte, notion de fait et non de droit.
Cette absence de définition juridique résulte de la conception française de la laïcité (article 40 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen)
Principe de neutralité consacré par les deux premiers articles de la loi du 9 décembre 1905.
Si la doctrine admet que les religions se caractérisent par la réunion d’éléments subjectifs (loi, foi, croyance) et d’éléments objectifs (le rite, la communauté), il n’existe aucune définition de la religion dans le droit positif.
L’article 9 de la CEDH va dans le même sens.La République en conséquence assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées dans l’intérêt de l’ordre public.
Le critère d’ordre public est ici déterminant concernant le champ des dérives sectaires auquel on peut ajouter la détermination des faits portant atteinte aux biens ou aux personnes.
Mais cette absence de définition n’efface pas la réalité de l’existence du non respect des lois et donc de l’existence des victimes.II – S’il existe un arsenal juridique suffisant pour lutter contre les dérives sectaires, la mutualisation des compétences et des savoirs doit s’intensifier, notamment à l’échelle européenne, afin d’harmoniser les législations et de mieux coordonner les politiques publiques
II-1 un arsenal juridique suffisant pour sanctionner les dérives sectaires
Le recours à de multiples qualifications pénales : escroquerie, homicides volontaires ou involontaires, non assistance à personne en danger, agressions sexuelles, violences ou tortures, l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse, la mise en péril des mineurs, trafic de stupéfiants ou publicité mensongère.
D’autres infractions à des dispositions relevant notamment du code de la santé publique, du code du travail, du code de la sécurité sociale, du code général des impôts peuvent éventuellement être constatées et sanctionnées. Le dispositif juridique existant apparaît donc suffisant et il n’est pas envisagé, en l’état, de mettre en place une législation spécifique relative aux sectes.II-2 Une mobilisation du Ministère de la Justice couronnée d’effets qui s’appuie sur une nouvelle organisation des services d’enquête
Le ministère de la Justice a tenu à sensibiliser les magistrats à cette problématique difficile par le biais de trois circulaires des 29 février 1996, 1er décembre 1998 et 22 novembre 2005. L’ensemble de ses directions a désigné un référent pour les dérives sectaires.
La direction des affaires criminelles et des grâces a créé, en outre, une mission de lutte contre les dérives sectaires qui suit toutes les procédures mettant en cause les mouvements sectaires et met en œuvre la formation interministérielle à l’attention des magistrats et des autres personnels du ministère de la justice sur ce thème.En 2009, elle a dynamisé les échanges entre la MIVILUDES et les magistrats en charge d’enquêtes pénales, le magistrat référent sur les dérives sectaires à la direction des affaires criminelles et des grâces ayant été amené à organiser des réunions entre des conseillers de la MIVILUDES et des magistrats du ministère public chargés de dossiers faisant présumer l’existence de dérives sectaires.
Concrètement cette vigilance se traduit par des procédures pénales en nombre limité mais nécessitant souvent des investigations complexes. Ainsi, une moitié des procédures repose sur l’infraction d’abus de faiblesse (dite loi About-Picard).
La création du groupe spécialisé de l’office central de répression des violences faites aux personnes (OCRVP) tant au niveau déconcentré qu’au niveau central constitue un précieux levier pour épauler au niveau des services d’enquête l’action de la justice pénale. Ainsi, selon moi, l’encadrement législatif est suffisant et doit être maintenu en l’état. Il permet, de comprendre et réprimer les dérives commises sous emprise mentale.II-3 – Il faut renforcer la coopération judiciaire européenne, approfondir la formation des magistrats et mutualiser toujours davantage les savoirs et les compétences
Renforcer la coopération judiciaire européenne
Les grandes organisations à caractère sectaire ne connaissent pas de frontières. Leur organisation pyramidale les met en position d’agir sur n’importe quel continent.
Ce doit être l’occasion pour notre pays d’impulser une nouvelle coopération policière et judiciaire en s’appuyant sur les institutions d’Europol et d’Eurojust.
Cette même volonté a déjà été exprimée à maintes reprises par le Parlement européen ou par l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, très tôt préoccupés des conséquences du phénomène sectaire.1. La résolution du 22 mai 1984 faisant suite au rapport de Richard COTTRELL (Parlement européen) qui préconisait la nécessité pour les ministres de l’Intérieur et les ministres de la Justice de se réunir dans le cadre de la coopération judiciaire européenne.
2. Le rapport Maria Berger du 11 décembre 1997 (Parlement Européen)
3. Le rapport Nastase « Activités illégales des sectes » du 22 juin 1999 (Conseil de l’Europe)
4. Enfin le 4 septembre 2003 une nouvelle résolution du Parlement européen était adoptée au chapitre de la « liberté de pensée, de conscience et de religion », mettant les états membres en garde contre les agissements dangereux de groupements à caractère sectaire
Afin d’intensifier cette coopération, la France pourrait, selon moi, porter quatre propositions essentielles :
1) la création d’un espace juridique européen doté d’un cadre législatif visant les activités illégales des organisations à caractère sectaire ;
2) l’élaboration d’un code européen de règles déontologiques applicables à toute association ou communauté à but non lucratif
3) la création d’un Observatoire européen sur les dérives sectaires chargé de contrôler le respect de ces règles communes ;
4) l’institution au sein de la Commission juridique des droits de l’homme du Parlement européen d’un organe permanent d’harmonisation des jurisprudences des états membres.
Selon M. Jean-Paul Costa, Président de la Cour européenne des droits de l’homme, « Autant il faudra que la Cour continue de protéger efficacement la liberté de conscience et le pluralisme religieux, autant il lui faudra certainement se pencher sur les abus commis au nom de la religion (au sens le plus noble du terme), ou de pseudo religions qui ne revêtent le manteau religieux que pour déployer plus tranquillement des activités nocives, voire abominables. De même que la liberté d’association ne doit pas servir à protéger les associations de malfaiteurs, de même la liberté religieuse ne doit pas assurer l’impunité aux coupables d’agissements délictueux ou criminels menés au nom de cette liberté ».Renforcer la formation des magistrats
L’accent doit être mis en outre sur la formation initiale et continue des magistrats quant aux dérives sectaires ainsi que sur la prise en compte des associations de victimes à l’égard desquelles la Justice a un devoir d’écoute et de soutien durables.Mutualiser les savoirs
Enfin, je veux insister sur la mutualisation des compétences et des savoirs. Il me paraît évident qu’une compréhension toujours plus fine, que peuvent apporter les services opérationnels, les psychologues, les psychiatres, les avocats, les chercheurs en sciences sociales, l’ordre des médecins notamment, peut nous permettre de gagner encore en efficacité.Je vous remercie de votre attention et de votre implication.
en juin 2008, la présidente de l’AFSI a été reçue au Ministère de la Justice en compagnie de Madame Françoise CHALMEAU – Conseillère Santé à la Miviludes.
L’association a expliqué ses objectifs et toute la problématique des thérapeutes déviants et psychosectaires a été développée.
Tous les dossiers pour lesquels les victimes ou les parents de victimes avaient déposé plainte contre ces thérapeutes déviants ont été présentés, afin que le Ministère de la Justice se rende compte de l’urgence à informer les Magistrats en place des dérives des charlatans.