Faux souvenirs induits : quand la victime est convaincue d’avoir été abusée

"J'aurais essayer de tuer ma fille avant qu'elle naisse" : quand de pseudo-thérapeutes induisent de faux souvenirs chez des personnes fragiles

Source: Avec l’accord de Madame Alexandra Ducamp – grand reporter au journal La Provence
laprovence.com – LUNDI 03/04/2023 à 19H07

Expliquer un mal-être par un inceste ou une maltraitance qui n’a pas existé : « Le faux souvenir induit » demeure l’une des techniques récurrentes d’emprise chez des pseudo-thérapeutes. L’association qu’a fondée Claude Delpech en 2005 a recueilli les témoignages et accompagné dans la toute la France près d’un millier de familles victimes. « Depuis le confinement, cela n’arrête pas. Avant il fallait aller chez le ‘thérapeute’, maintenant beaucoup se font appâter sur les réseaux sociaux et vous pouvez faire des séances en ligne, déplore-t-elle. On vous explique que si vous n’allez pas bien, c’est parce que vous avez été violée par votre père !« 

« Moi, j’aurais essayé de la tuer avant qu’elle naisse ! » Des années après les faits, le regard de Marie* qui n’a plus revu sa fille depuis des années, dit une stupéfaction intacte. Presque du jour au lendemain, Nathalie*, la trentaine, cadre supérieure dans une grande entreprise, est devenue une autre. « Elle s’est mise à nous faire beaucoup de reproches, raconte sa mère. Nous accuser de l’avoir maltraitée enfant. »

 

Très vite, Marie se rend compte que sa fille consulte une kinésithérapeute – « plusieurs séances par semaine à 100 euros de la main à la main« . « Je me suis inquiétée, et j’ai contacté l’Unadfi (l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes, Ndlr) qui avait déjà à l’époque reçu trois ou quatre signalements concernant cette personne« , raconte celle qui pendant des années va tenter de sortir sa fille de l’emprise de cette « dérapeute », qui captait bijoux, argent en isolant Nathalie de son entourage.

« Je pense que ma fille lui a laissé plus de 1,5 million d’euros« . Son premier signalement au procureur ayant été interprété comme « un problème de communication mère-fille« , Marie a dû faire sa propre enquête, trouver d’autres victimes.

Malgré la condamnation de la kinésithérapeute devant un tribunal, Nathalie n’est jamais vraiment sortie de son emprise. « Les premières victimes sont les accusatrices, assure Claude Delpech. On leur suggère que l’événement a été refoulé. Elles y croient vraiment« . La présidente de l’association raconte ces familles dévastées par des accusations ; des pères, des grands-pères poursuivis en justice « qui finissent par obtenir un non-lieu ou un acquittement« , et des mécanismes de manipulation et d’aliénation « dont il est difficile de sortir« . « On voit des victimes qui racontent les mêmes scènes de viol avec les mêmes mots« , à l’issue de pseudo-thérapies d’hypnose ou en groupes.

Dans son viseur notamment, les constellations familiales : « Comme une sorte de jeu de rôle, où des personnes jouent votre père, votre mère et lors desquelles on reconstitue une vie qui n’a pas été celles des victimes« . Elles-mêmes, après ces « révélations », deviennent parfois à leur tour « thérapeute ». « Combien de gens vont-elles, à leur tour, manipuler ?« , s’interroge Claude Delpech.

L’allongement des délais de prescription et la libération de la parole ces dernières années ajoutent à la confusion : « Au sein de l’association, nous avons mis des garde-fous pour ne pas confondre les gourous et les pédophiles, avance Claude Delpech. Quand il y a des accusations sur des faits que l’on dit refoulés, il faut aussi s’intéresser aux éventuelles thérapies que peut avoir suivies la victime. »

Induire des faux souvenirs chez une personne fragile demeure finalement assez facile. « Si un thérapeute (ou assimilé) pose sa main sur la main ou le bras d’une patiente pendant une séance, elle va forcément avoir une réaction. Au moins de surprise. C’est très simple ensuite de lui suggérer que si elle a cette réaction, c’est parce qu’elle a été victime d’un abus. Par une question insistante, par exemple, ‘Vous êtes certaine qu’il ne s’est rien passé dans votre enfance..?‘. Et de lui faire associer d’elle-même un souvenir flou où elle est assise sur les genoux d’un homme (son père, son grand-père, un voisin) à une agression qui n’a jamais existé, explique le Dr Belaubre, psychiatre. En vingt ans d’exercice, je n’ai jamais vu de patients qui découvraient soudainement une agression dont ils n’auraient pas le souvenir. Quand il y a eu un événement traumatique, même si la personne l’a enfoui dans un coin de son cerveau et a construit sa vie pour ne pas y penser, elle garde le souvenir que ça lui est arrivé. »

*Les prénoms ont été modifiés