Vrais et faux souvenirs de traumatismes

Jacques Van Rillaer

Psychanalyste et professeur à l’Université de Louvain-La-Neuve
Dans son livre : Psychologie de la vie quotidienne – 2003Paris Odile Jacob
nous décrits les :

Vrais et faux souvenirs de traumatismes

Voici quelques extraits de son ouvrage mis en ligne le 02/07/2006 sur le site amis de SOS Thérapies, disparu depuis.
Les notes et références bibliographiques se trouvent à la fin de cet article.

Que retenons-nous de nos premières années ?

Quand nous arrivons à la fin de l’enfance, une large part de nos souvenirs est à jamais perdue. C’est en particulier le cas de tous les événements des premières années de la vie. Quelques rares personnes disent garder en mémoire l’image d’un événement survenu alors qu’elles n’avaient que deux ans, mais personne ne semble pouvoir réellement remonter au-delà de cette frontière. Ce phénomène est appelé  » l’amnésie infantile « .

Durant la petite enfance, nous faisons un grand nombre d’apprentissages : manger avec une cuillère, marcher, parler, etc. Les résultats de ces apprentissages constituent ce que Graf et Schacter ont appelé la  » mémoire implicite « . Des expériences passées, devenues totalement inaccessibles à la conscience, président à l’élaboration de significations générales ( » mémoire sémantique « ), d’habitudes et d’habiletés ( » mémoire procédurale « ). Arrivés à l’adolescence, nous savons que Rome est la capitale de l’Italie et que les chiens peuvent mordre, nous savons comment procéder pour lacer nos souliers. Nous ne pouvons plus nous rappeler où et comment nous l’avons appris.

Un nourrisson, qui peut faire bouger un mobile grâce à un cordon relié à son pied, peut se souvenir de cette expérience : replacé dans la même situation, il bouge d’emblée la jambe et manifeste de la joie. À l’âge de deux mois, il conserve le souvenir durant 24 heures ; à six mois, durant 15 jours.

Toutefois, la totalité des événements concrets survenus avant l’âge de deux ans devient indisponible à la conscience quelques années plus tard. Le bon fonctionnement de la mémoire  » événementielle  » ou  » épisodique  » suppose une maturation neuronale, notamment de l’hippocampe, qui n’est pas réalisée avant deux ou trois ans.  » Bon développement  » ne signifie cependant pas conservation photographique des événements. Les souvenirs ne sont pas stockés comme des fiches qui demeurent, inchangées, à notre disposition. Au moment de leur évocation, le degré de leur correspondance avec les événements passés dépend de multiples facteurs, notamment des processus d’encodage et de récupération, des événements antérieurs et des événements ultérieurs aux souvenirs en question, l’environnement présent de la personne, son activité et son état affectif.

Qu’en est-il chez les enfants ?

Les traumatismes vécus durant les deux premières années sont, quelques années plus tard, irrémédiablement oubliés. Par contre, à partir de l’âge de trois ans, les expériences très pénibles sont gardées en mémoire et réapparaissent facilement. Les recherches les plus impressionnantes portent sur des enfants américains, qui ont assisté au meurtre d’un de leurs parents. (Dans une ville comme Los Angeles, chaque année plus de cent enfants subissent une telle horreur).

Malmquist, qui a examiné seize enfants de moins de onze ans ayant subi ce drame, conclut :  » Chez les seize enfants, apparaissent des souvenirs vivaces de l’événement. Les images mnésiques du meurtre persistent, elles sont tenaces et surgissent à des moments inattendus.

Eth et Pynoos ont soigneusement interrogé vingt-cinq enfants qui ont subi le même sort. Voici la réponse typique d’un enfant :  » À l’école, j’entends tout, mais ce que j’entends s’efface sans cesse, parce que je revois constamment ce qui est arrivé à ma mère.  » Les chercheurs concluent en ces termes :  » Nos interviews montrent que les enfants gardent des souvenirs très précis, souvent avec des détails. Ces constatations sont conformes à la théorie des souvenirs-flashes […].

Des souvenirs très vifs de ce type résultent de la confrontation avec un événement inattendu impliquant fortement la personne et provoquant une intense émotion.  » Les mêmes auteurs ont observé que les enfants qui ont subi de multiples traumatismes ne s’immunisent guère. Au contraire, les divers traumatismes donnent lieu à une série de vifs souvenirs, quoique parfois sans beaucoup de détails. Eth et Pynoos se sont intéressés particulièrement à des enfants qui ont vu un de leurs parents tuer l’autre. Ces enfants ont subi, outre l’horreur de ce meurtre, un  » conflit de loyauté  » à l’égard du parent meurtrier. Ils n’oublient pas davantage cette scène que les autres enfants.
Une étude portant sur des enfants qui ont assisté au viol de leur mère aboutit à la même conclusion : tous les enfants examinés souffrent de l’apparition fréquente et irrépressible du souvenir de ce traumatisme.

Qu’en est-il des souvenirs d’expériences d’inceste et autres abus sexuels vécus durant l’enfance ?

Notons d’abord que ces expériences apparaissent généralement moins traumatisantes que le spectacle, en état d’impuissance, de la mise à mort du père ou de la mère. Certains enfants qui subissent une situation définie comme outrageante, selon les normes du monde occidental adulte, ne la ressentent pas comme scandaleuse ou traumatisante. Spanos, qui a fait une revue de la littérature spécialisée, conclut que certains abus subis durant l’enfance s’oublient pour les mêmes raisons que d’autres événements courants : ils n’ont pas été vécus comme vraiment importants.

Contrairement à une idée largement répandue, les recherches rigoureuses montrent que les abus sexuels ne provoquent pas toujours, chez tous les enfants, de graves dommages. Certes c’est souvent le cas, mais les enfants les plus perturbés, parmi ceux qui ont subi des abus, proviennent le plus souvent de familles caractérisées également par d’autres graves dysfonctionnements.

Les enquêtes méthodiques et soigneuses sur les enfants victimes d’inceste et autres abus sexuels vont toutes dans le même sens : les souvenirs de ces événements ne sont nullement refoulés et oubliés, du moins si les enfants ont plus de trois ans et si les expériences ont été réellement traumatisantes. Chez les enfants choqués, les images mnésiques sont d’autant plus vivaces, fréquentes et envahissantes que les événements étaient graves et que ces victimes ont essayé de réprimer ces souvenirs.

Les études qui ont porté spécifiquement sur des enfants sexuellement abusés et menacés par des adultes pour qu’ils gardent le silence montrent que ces victimes se souviennent particulièrement bien des sévices. L’interdiction de parler renforce les souvenirs et les rend encore plus intrusifs.

En 1995, les psychiatres américains Pope et Hudson ont fait une revue critique des recherches sur le refoulement des traumatismes sexuels. Ils concluent :  » L’expérience clinique dont on dispose actuellement ne permet pas de conclure que des personnes puissent refouler les souvenirs d’abus sexuels. Cette constatation est étonnante, car beaucoup d’auteurs ont supposé que des centaines de milliers, voire des millions de personnes ont enfoui en eux des souvenirs de ce type.  » (…)

Les faux souvenirs

Les déformations des souvenirs sont particulièrement importantes chez les enfants. Contrairement à l’adage, plus les enfants sont jeunes, plus des fabulations sortent de leur bouche. Jean Piaget, le plus grand nom de la psychologie de l’enfant, enseignait :  » La mémoire de l’enfant de deux à trois ans est encore un mélange de récits fabulés et de reconstitutions exactes, mais chaotiques.  » Déjà en 1946, il attirait l’attention sur les souvenirs inventés et donnait d’exemple d’un de ses propres faux souvenir .

Des psychologues ont fait la démonstration de la facilité de suggérer des faux souvenirs chez des enfants. Loftus a réalisé une expérience qui a servi de modèle à beaucoup d’autres. Elle a demandé à des étudiants d’interroger des enfants de leur entourage – par exemple leur petit frère – de manière à faire retrouver à ces enfants le souvenir de s’être perdu dans un centre commercial, quelques années plus tôt. Les étudiants devaient s’être assurés, auprès des parents, que l’enfant n’avait pas connu pareille mésaventure. Lors du premier interrogatoire de l’étudiant, qui portait aussi sur de véritables événements du passé, l’enfant déclarait généralement ne pas se souvenir de s’être égaré dans un centre commercial. Toutefois, lorsque l’étudiant revenait sur cet  » événement  » plusieurs fois, avec insistance, les jours suivants, la plupart des enfants finissaient par se le rappeler, puis ajoutaient eux-mêmes une série de détails.

Ils déclaraient par exemple :  » Je suis allé voir le magasin de jouets, c’est là que je me suis perdu. J’ai pensé que je ne reverrais plus jamais ma famille. Un vieil homme, portant une chemise bleue, m’a demandé si je m’étais perdu. Je pleurais…  » L’expérience de Loftus montre la facilité avec laquelle un faux souvenir peut être implanté chez un enfant, un fait largement confirmé par des recherches plus rigoureuses. Citons, comme exemple, une expérience de Stephen Ceci, de l’université Cornell.

… Le psychologue interroge des parents sur des événements qui se sont ou non produits dans la vie de leur enfant. Ensuite il demande aux enfants de se rappeler des événements réels et deux événements qu’il invente et présente comme réels. Les événements fictifs sont : un voyage en ballon ; le fait d’avoir eu le doigt pris dans une souricière et d’avoir dû aller à l’hôpital pour se libérer du piège. Les enfants sont invités à faire des efforts pour se rappeler et visualiser les scènes. La procédure est répétée dix fois, à raison d’une fois par semaine. Au fil du temps, de plus en plus d’enfants disent se rappeler les événements. Ils fournissent alors des détails de leur cru. Finalement, plus de la moitié des enfants font état d’un ou des deux souvenirs imaginés. Quand les parents révèlent à leurs enfants que ces histoires ont été fabriquées par le psychologue, 27 % des enfants affirment être certains de les avoir vécues.

Des recherches, comme celles de Loftus et Ceci, montrent que plus les interrogatoires sur des événements inexistants sont répétés, plus les interrogés ont tendance à produire des faux souvenirs. Le processus est courant chez les enfants, mais il se produit aussi chez des adultes.

Le 4 octobre 1992, un avion de ligne s’écrasait sur un grand immeuble à appartements des environs d’Amsterdam, faisant un grand nombre de morts. Un an plus tard, trois psychologues hollandais interrogeaient des compatriotes adultes sur leurs souvenirs relatifs à ce drame, qualifié de  » catastrophe nationale « . Ils demandaient notamment s’ils se rappelaient les images de la télévision montrant le moment où l’avion percutait le building. En réalité, ces images n’existaient pas. Néanmoins, 55 % des sujets interrogés répondirent avoir vu, effectivement, ces images.

Ainsi, il suffit parfois de poser des questions sur des faits inexistants pour susciter leur visualisation mentale et leur souvenir. Chez des personnes qui souffrent d’altérations cérébrales – en particulier dans la partie frontale de l’hémisphère droit -, les fabulations sont très fréquentes. Les réactions des jeunes enfants, dans des tests cognitifs, présentent de nombreuses similitudes avec ces malades.

Il y a un siècle environ, Hippolyte Bernheim mettait déjà en garde les enquêteurs et les juges contre ce qu’il appelait les  » hallucinations rétroactives « , les souvenirs illusoires de faits qui n’ont jamais existé et que l’on peut facilement faire apparaître chez des personnes suggestibles.

Il écrivait :  » Comme le médecin qui est exposé à créer chez son malade des symptômes qu’il n’a pas, à extérioriser sur lui ses propres conceptions, de même le juge d’instruction est exposé à imposer ses idées préconçues aux témoins, et à leur dicter, à son insu, des faux témoignages. […] Si les témoins sont interrogés en présence l’un de l’autre et que le premier raconte l’affaire avec précision, et sans hésitation, souvent tous les autres suivent et confirment la version de leur chef de file, convaincus que c’est arrivé comme il a dit, ne se doutant pas qu’ils ont pu être suggestionnés par lui. « 

Des recherches psychométriques sur des adultes, qui produisent facilement de faux souvenirs, ont mis en évidence les caractéristiques suivantes : des troubles de l’attention et de la mémoire, une grande imagination, la capacité de produire des images mentales très vives et accompagnées de réactions émotionnelles, une forte suggestibilité, la facilité à se laisser hypnotiser.

Avec ce que nous savons aujourd’hui, on ne s’étonne guère que Freud, alors qu’il croyait que l’hystérie et le trouble obsessionnel étaient causés par le refoulement d’expériences sexuelles de l’enfance, ait retrouvé de telles scènes chez n’importe quel patient, parfois au prix de  » plus de cent heures de travail « .

En 1895, Freud affirmait avoir découvert chez tous ses patients hystériques une ou plusieurs expériences sexuelles précoces. Il distinguait alors trois groupes de  » coupables  » :

  • d’autres enfants (le plus souvent un frère ou une sœur),
  • des adultes de l’entourage ( » bonne d’enfant, gouvernante, proche parent « )
  • et des adultes étrangers à l’entourage.

Après 1897, lorsqu’il aura remplacé la théorie de la séduction par celle du fantasme et qu’il croira à l’universalité des sentiments  » œdipiens « , il retrouvera chez toutes ses patientes  » hystériques  » des fantasmes mettant en scène des séductions par le père, des fantasmes qu’elles auraient créés dans l’enfance et qu’elles auraient ensuite refoulés.

L’histoire de la psychanalyse illustre, de façon exemplaire, la facilité avec laquelle des psys peuvent générer, à partir de leur théorie, des souvenirs – d’événements ou de fantasmes – qui servent ensuite de preuve pour la vérité de la théorie.

L’épidémie des souvenirs d’abus sexuels

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les  » attentats à la pudeur  » perpétrés à l’encontre d’enfants sont devenus un sujet d’étude et de publications. Freud, à l’époque où il séjourna à Paris (d’octobre 1885 à février 1886), a eu connaissance des ouvrages de Tardieu, professeur de médecine légale à l’université de Paris, et de Brouardel, son successeur. Ces lectures ont sans doute contribué à la constitution de sa théorie de la séduction.

Rappelons que Freud a affirmé, pendant à peu près deux ans, que toutes les  » psychonévroses  » sont causées par le refoulement de traumatismes sexuels subis dans l’enfance et qu’il a ensuite rejeté cette théorie au profit d’une explication par des fantasmes incestueux, suscités par le complexe d’Œdipe des enfants. Cette réorientation est devenue la doctrine officielle de la psychanalyse jusqu’à nos jours.

Une conséquence dramatique a été la négation massive, pendant environ quatre-vingts ans, de la réalité des abus sexuels commis sur des enfants. Cette négation a été le fait des psychanalystes, quasi sans exceptions, mais a été également, via la popularité du freudisme, le fait de la majorité des professionnels de la santé et des hommes de loi.

Comme nous l’avons vu plus haut, à partir de trois ans, les personnes ayant subi réellement un traumatisme important – de nature sexuelle ou autre – ne peuvent l’oublier ou le  » refouler « , quand bien même elles le souhaitent ardemment. Des femmes ont parlé de ces expériences pénibles à des thérapeutes. Parmi ceux-ci, quelques-uns ont écouté les récits sans automatiquement les décoder comme des productions fantasmatiques.

À la fin des années 70, l’Américaine Judith Herman a été une des premières psychiatres à dénoncer la théorie du fantasme comme le moyen souverain de disqualifier toute accusation de sévices sexuels subis dans l’enfance. En 1981, le prestigieux éditeur Harvard University Press publiait son ouvrage Father-Daughter Incest. Elle y soutenait que l’inceste entre père et fille est plus répandu qu’on ne le croit. Elle se basait sur des récits de patientes qui déclaraient avoir été abusées, s’en être toujours souvenues et en souffrir jusqu’à l’âge adulte. Notons qu’il n’était pas ici question de l’exhumation laborieuse de traumatismes totalement oubliés ! Herman avait le grand mérite de rendre justice aux femmes à la fois abusées et traitées de menteuses ou d’hystériques.

Toutefois, elle croyait naïvement qu’il suffisait de remonter jusqu’à la théorie de la séduction de 1895-96 pour retrouver la vérité. Pour elle, Freud avait commencé par vraiment écouter ses patientes, puis il les avait trahies. Selon ses termes,  » le patriarche de la psychologie moderne avait élaboré une psychologie d’hommes « .

[…] Herman et Masson sont apparus comme des cautions scientifiques pour des féministes qui, à partir des années 70, protestaient énergiquement contre le déni systématique des cas réels d’abus sexuels. Au cours des années 80, des groupes d’entraide et des groupes de thérapie pour  » survivantes de l’inceste  » se sont multipliés comme une traînée de poudre à travers les États-Unis. Les médias, en particulier des talk-shows populaires, ont largement contribué à leur diffusion. Au début des années 90,  » quasi tous les soirs, dans toutes les grandes villes américaines, des groupes de « survivants de l’inceste et de rituels sataniques » se réunissent.

« Au début, les participantes de ces groupes étaient de vraies victimes d’abus. Elles ont été rapidement rejointes par des femmes qui n’avaient aucun souvenir de sévices endurés dans l’enfance, mais qui avaient été convaincues par leur psy que tous leurs problèmes actuels et passés n’étaient que les symptômes de traumatismes sexuels refoulés.

Des psys se sont alors spécialisés dans la remémoration des abus refoulés. Une nouvelle thérapie est née : la thérapie des souvenirs retrouvés (recovered memory therapy). Elle utilise plusieurs techniques, dont les principales sont l’hypnose, la thérapie de groupe et surtout la combinaison de ces deux moyens souverains de persuasion.

La grande majorité des praticiens de cette  » thérapie  » n’ont pas de diplôme universitaire de psychologie ou de psychiatrie. Une partie d’entre eux se sont proclamés thérapeutes après s’être découverts abusés dans l’enfance et avoir suivi une  » formation  » chez un  » psy  » ou un gourou ignorant tout de la psychologie scientifique.

[…] La mythologie répandue par les thérapeutes de la mémoire retrouvée a eu des conséquences désastreuses, tant pour les accusés que pour les accusatrices.

Pendant plus de dix ans, des parents ont été injustement accusés, gravement perturbés, condamnés à de lourdes peines de prison et des amendes énormes (jusqu’à un million de dollars).

Citons un exemple typique, rapporté par Elisabeth Loftus :

 » Dans le Missouri, en 1992, un confesseur aida Beth Rutherford, une jeune femme de 22 ans, à se souvenir qu’entre 7 et 14 ans elle avait été régulièrement violée par son père pasteur, quelquefois aidé par sa mère, qui la tenait. Encouragée par le prêtre, B. Rutherford se souvint qu’elle avait été enceinte deux fois de son père, qui l’avait forcée à avorter seule, à l’aide d’un portemanteau. Lorsque ces accusations furent rendues publiques, son père dut abandonner son ministère, mais des examens médicaux révélèrent que la jeune femme était encore vierge et n’avait jamais été enceinte. En 1996, elle poursuivit le prêtre, qui fut condamné à une peine d’un million de dollars. « 

Cet exemple illustre le fait que des autorités religieuses – notamment des chrétiens fondamentalistes – et des  » conseillers  » de toute espèce ont largement participé à ce délire collectif.

L’évolution psychologique des femmes traitées – mieux vaudrait dire  » abusées  » – par la thérapie du ressouvenir de l’inceste s’est avérée le plus souvent négative et parfois désastreuse. Il apparaît aujourd’hui évident que des personnes réellement traumatisées doivent pouvoir parler, dans un contexte rassurant, de leurs expériences passées, pendant un certain temps. Toutefois, la focalisation répétitive sur des dommages subis – même s’ils sont réels – ne fait qu’entretenir le ressentiment et favorise l’éclosion de troubles psychologiques.

Citons encore Loftus, qui a consacré plusieurs années à étudier les faux souvenirs d’abus et leurs conséquences :  » En pétrifiant le souvenir, l’imposant comme un point de vue passif et impuissant de l’enfant, la thérapie emprisonne ses patients dans un passé douloureux, plutôt que de les en libérer. À chaque fois que nous nous « rappelons traumatiquement », les outrages sont vécus à nouveau, et l’enfance devient un enfer dont on ne s’échappe plus. « 

Les psychologues scientifiques ont peu de pouvoir pour dissiper les mythologies de l’inconscient véhiculées par des collègues  » psys  » et répandues dans le public. En l’occurrence, la principale raison du reflux du Mouvement de la mémoire retrouvée a été la production de souvenirs de plus en plus délirants, notamment des tortures subies dans des sectes sataniques (voir encadré), dans des vies antérieures et dans des soucoupes volantes. (…)