Un thérapeute accusé d’implanter des faux souvenirs à ses patients

Un thérapeute accusé d’implanter des faux souvenirs à ses patients

Source : L’Express.fr
Par Caroline Politi publié le 10/04/2012 à 19 h 19

Benoît Yang Ting, thérapeute, est accusé d’avoir implanté des faux souvenirs dans la tête de ses « patients » pour leur extorquer de l’argent.

Un procès particulier s’est ouvert ce mardi devant le tribunal correctionnel de Paris. Benoît Yang Ting, thérapeute, est accusé d’avoir implanté des faux souvenirs dans la tête de ses « patients » pour leur extorquer de l’argent.

Elle n’a pas été violée et pourtant elle y a cru dur comme fer pendant douze ans. Douze ans pendant lesquels Sophie Poirot, avocate, a versé quelques 238 000 euros à son thérapeute, Benoît Yang Ting, pour l’aider à surmonter ce traumatisme. Selon lui, la jeune femme – qui était venue le consulter sur les conseils de son père en 1993 pour un simple « passage à vide » – a été abusée par ce dernier lorsqu’elle était très jeune et avait refoulé ce souvenir. Ce qui explique son sentiment de mal-être.

Pour se remettre, le soignant – qui se présente comme un « humanothérapeute » – la fait participer à des stages intensifs facturés 40 000 euros la semaine ou à des séances de thérapie à 320 euros de l’heure. « Le principe de la thérapie, c’était des sessions de trois à cinq semaines, six à huit heures par jour, sept jours sur sept, que vous passiez allongé nu sur un divan, soi-disant à revivre des souffrances passées », raconte-t-elle lors de l’audience. La jeune femme rompt les liens avec sa famille, ses amis et applique à la lettre les pratiques de son mentor. Jusqu’à « accepter » d’avoir des relations sexuelles avec lui. Pendant 12 ans – jusqu’en 2005 – les préceptes de son gourou vont rythmer sa vie et son compte en banque. C’est la rencontre avec celui qui va devenir son mari qui l’a aidée à réaliser qu’elle avait été dupée… et n’avait jamais subi le moindre viol de la part de son père.

Une dérive sectaire dénoncée depuis 2007 en France

Le procès pour abus de faiblesse de Benoît Yang Ting et sa femme – accusée de complicité – s’ouvre ce mardi devant le tribunal correctionnel de Paris. La jeune femme accuse son thérapeute d’avoir pratiqué sur elle la technique dite des faux souvenirs induits, une pratique dénoncée par la mission de surveillances de sectes (Miviludes) depuis 2007. « Ce sont des charlatans qui accrochent une plaque de thérapeute et ciblent des personnes qui traversent une période de mal-être, explique George Fenech, le président de la Miviludes. Ils instaurent un climat de confiance et font croire à leurs patients que leur mal-être remonte à la petite enfance.

Quand ils sont conditionnés, il fait revenir à la surface un souvenir prétendument refoulé – souvent une agression sexuelle de la part d’un membre de la famille ou de la maltraitance – qui expliquerait la cause du mal-être. La personne va alors s’approprier cette scène et y croire comme s’il s’agissait de son propre souvenir. » « Vous finissez par croire tout ce qu’il vous dit. Je me suis fait emprisonner dans ce système. Une fois que le mécanisme de l’emprise se met en place, vous ne pouvez plus dire non… », confirme Sophie à la sortie de son procès.

Les femmes représentent 80% des victimes des faux souvenirs induits. « Ces thérapeutes ciblent avant tout des femmes entre 30 et 35 ans, célibataires, ayant fait des études supérieures », explique Claude Delpech, la présidente de l’association Alerte faux souvenirs induits (Afsi), la plus grosse association de familles de victimes.

Mais les hommes ne sont pas épargnés. Aux côtés de Sophie, comparaissait ce mardi Bernard Touchebeuf, consultant en management, qui se dit également victime de ce thérapeute. Venu le consulter pour des problèmes au sein de son couple, il s’est « souvenu » que sa mère avait voulu avorter lorsqu’elle était enceinte de lui. Il explique dans Le Figaro avoir revu « grâce » à Benoît Yang Ting, l’aiguille à tricoter bleue que sa mère a utilisée pour essayer d’avorter. Au total, il aura déboursé 750 000 euros pour essayer de se remettre de cet évènement. « Mais j’ai commencé à ouvrir les yeux en 2005 quand ma fille de 7 ans a parlé d’attouchements par sa nourrice », raconte-t-il au quotidien.

Et d’ajouter: « Toujours persuadée des bienfaits de ces pratiques, ma femme témoignera contre moi à l’audience, et ma fille vit avec sa mère ».

De l’autre côté de la barre, on nie vigoureusement cette sujétion. « A l’époque, ils étaient très contents des soins prodigués par Benoît Yang Ting puisqu’ils en redemandaient », ironise ainsi Me François Gibault. Et puis surtout, rappelle-t-il, à l’instruction, son client a bénéficié d’un non-lieu sur la « constitution de secte« . L’avocat préfère ramener le dossier à une simple contestation d’honoraires.

Entre 5000 et 10 000 thérapeutes aux pratiques déviantes

Si on ne connaît pas exactement le nombre de thérapeutes utilisant cette technique, la Miviludes recense entre 5000 et 10 000 thérapeutes non qualifiés utilisant des pratiques non-conventionnelles à l’instar des faux souvenirs induits. « C’est un phénomène en pleine expansion en France, assure Claude Delpech. 600 familles de victimes nous ont contacté et tous les jours nous recevons de nouveaux signalements ».

Le procès devrait se terminer mercredi soir. Une vingtaine d’autres témoins – la plupart des anciennes victimes dont les faits sont aujourd’hui prescrits – sont attendues à la barre. Si Benoît Yang Ting est condamné pour « abus frauduleux de l’état de faiblesse » et que cette pratique est qualifiée par la justice comme une forme de dérive sectaire, le procès fera jurisprudence. Car c’est la première fois qu’une telle pratique est jugée en France.

« Nous attendons évidemment que la Cour de justice condamne cette pratique et dédommage non seulement les victimes à hauteur du préjudice mais également leurs proches, qui ont été accusés à tort de faits atroces », explique Claude Delpech.

Les fausses accusations conduisent souvent à des situations familiales dramatiques. Rupture familiale, prisons voire suicide chez certains parents ne supportant pas l’accusation.

Mais Claude Delpech reste optimiste. « Quelle que soit l’issue du procès, nous avons déjà gagné une chose: la médiatisation autour de ce procès a permis de faire connaître cette pratique. Peut-être que certaines personnes manipulées ou leurs familles pourront se reconnaître dans les témoignages parus dans la presse et s’en sortir. »