La mécanique du traumatisme psychique

La mécanique du traumatisme psychique

L'auteur

René Garcia est responsable du réseau national abc des psychotraumas, et professeur à l’Université de Nice-Sophia Antipolis.

Qu’est-ce qu’un traumatisme psychique ? C’est la conséquence d’un événement si choquant que les connexions entre les neurones véhiculant la représentation du contexte et ceux produisant la frayeur se renforcent exagérément et durablement. Il est difficile d’affaiblir ces connexions.

L'essentiel

Un conditionnement traumatique conduit à l’établissement d’un signal d’alarme qui évite qu’une victime s’expose une seconde fois à la situation qui a failli lui coûter la vie.

  • Dans le complexe amygdalien, une région profonde du cerveau, les neurones véhiculant la mémoire du contexte (par exemple l’intérieur d’une voiture) s’activent en même temps que ceux déclenchant la peur. Cela renforce les connexions entre ces circuits.
  • Cette mémoire traumatique est permanente ; toutefois, son expression peut être inhibée à la suite d’une thérapie comportementale.

L’être humain, selon les psychologues et les neurobiologistes, serait conditionné pour redouter certaines situations et pour en apprécier d’autres. De telles phobies et de telles préférences, variables d’un individu à l’autre, seraient enracinées dans l’enfance et détermineraient en partie les rejets ou les choix irrationnels. Qui plus est, certains événements laissent parfois une empreinte indélébile sur le psychisme : le fait d’avoir vécu une situation très difficile dans sa vie personnelle ou professionnelle pourrait modeler les circuits cérébraux, suscitant la crainte irraisonnée d’être à nouveau confronté à des situations analogues, de revivre les mêmes peurs et les mêmes angoisses.

Le mécanisme de conditionnement de la peur atteint son paroxysme dans le traumatisme psychique, une situation de choc émotionnel vécu par exemple dans un accident, un viol ou un attentat : la situation est tellement intolérable que le cerveau réagirait exagérément à tout élément évoquant l’instant dramatique, car des circuits, dans ses structures profondes, seraient configurés de façon définitive.

Divers exemples le confirment. Ainsi, Émilie H., environ 40 ans, évite de monter dans une voiture. Dès qu’elle y prend place, elle a des sueurs froides, ses battements cardiaques et sa respiration s’accélèrent. Il y a quelques années, victime d’un accident de la route qui a coûté la vie à son mari, elle est restée prisonnière de la carcasse du véhicule pendant 20 minutes avant que les pompiers la dégagent. Toutes les stimulations liées à l’intérieur d’une voiture (la vision des sièges, leur contact, la ceinture de sécurité) sont désormais associées à la souffrance et à la terreur.

La peur conditionnée

Comment cette association s’est-elle forgée ? Les neurobiologistes connaissent bien ce phénomène de conditionnement de la peur. Lorsqu’on place une souris ou un rat dans un dispositif à deux compartiments, l’un fortement éclairé (où se trouve l’animal), l’autre sombre (où il préfère se réfugier), l’animal se rend en moins de 50 secondes dans le compartiment obscur. Puis on ferme la porte entre les deux zones ; l’animal ne manifeste aucun comportement de peur. Cependant, deux minutes plus tard, il y reçoit un choc électrique sur les pattes. Le lendemain, voire des semaines plus tard, lorsque l’animal est placé dans le compartiment éclairé, il évite le compartiment sombre. Et si après plusieurs minutes, il y retourne et si la porte se ferme, l’animal présente un comportement de freezing (il s’immobilise) et ses battements cardiaques accélèrent.

L’évitement manifesté par l’animal est conscient ; il ne « souhaite » pas revivre l’expérience initiale, et la crainte que cet événement traumatique se reproduise est supérieure à sa préférence du compartiment sombre. C’est en grande partie ce qui se produit pour Émilie lorsqu’elle évite de monter dans une voiture, même si l’utilisation de ce véhicule est préférable dans certaines circonstances.

N.B. Merci à Monsieur René Garcia de nous avoir permis de mentionner son travail important sur la mécanique du traumatisme psychique.