Extrait de espacepsy.fr du 29.12.2007 : Faux souvenirs mais vrais cauchemars
Valérie Cordonnier – 29/12/2007
Lorsqu’il arrive qu’un patient soulève le couvercle posé sur sa mémoire depuis des années et exprime des souvenirs douloureux, ayant trait par exemple à l’inceste, à des abus sexuels, il vient souvent un moment où il doute de ces souvenirs. La réalité est parfois si dure à supporter. A côté des ces véritables souvenirs, émergent aussi un phénomène qui constitue un véritable danger pour les familles et pour l’intégrité de la personne.
Ce phénomène est apparu aux États Unis il y a déjà 25 ans, et il est connu sous le terme de » mémoire retrouvée » ou du » syndrome des faux souvenirs « . Il semblerait qu’au cours d’une psychothérapie, des souvenirs traumatisants d’abus sexuels ayant eu lieu durant l’enfance ressurgissent à la mémoire des décennies plus tard.
Pourtant, aucun de ces prétendus souvenirs d’enfance n’aurait existé avant le début de la thérapie. Ainsi, les patients, certains d’avoir retrouvé la cause de leur souffrance interne, accusent leurs proches d’inceste. S’agit-il d’une technique utilisée afin de reconstruire le passé et l’identité d’une personne dans le but de la contrôler, d’exercer son pouvoir et instaurer une relation d’emprise, de la séparer et de l’isoler de sa famille ? S’agit-il d’une dérive où l’acharnement thérapeutique, qui consiste à retrouver à tout prix dans la mémoire des souvenirs grâce à des questions suggestives, à chercher de façon intrusive une parole qui ne vient pas, à se focaliser activement sur la maltraitance et les abus sexuels, démontre une position confuse où se mêlent militantisme et fonction thérapeutique ?
La théorie de la mémoire retrouvée
Aux États-Unis, de nombreux psychothérapeutes ont pour théorie la mémoire retrouvée. Selon cette théorie, retrouver des souvenirs soi-disant totalement réprimés permettrait de résoudre les problèmes psychologiques actuels. Ces thérapeutes, adeptes de cette théorie à la mode, expliquent la souffrance de leurs patients par un traumatisme réel : l’inceste et la maltraitance.
Ainsi, lorsqu’une patiente consulte, car il s’agit le plus souvent de jeunes femmes en souffrance psychologique, le thérapeute va l’inciter à rechercher activement des souvenirs enfouis traumatisants. Ainsi, au fil des séances, sous l’influence des questions directives du thérapeute, ces patientes vont se mettre à retrouver des souvenirs oubliés qui, majoritairement, sont des souvenirs d’abus sexuels durant l’enfance. Convaincues de la réalité de ces souvenirs grâce à l’appui de leur thérapeute, ces femmes accusent publiquement leurs parents d’inceste et de complicité. A partir de ce moment, le thérapeute proposerait à la patiente soit de poursuivre sa thérapie en travaillant à résoudre sa douleur et sa colère, soit de faire face à son abus en confrontant ses abuseurs.
Selon cette théorie, les souvenirs traumatiques sont enterrés, les violentes émotions négatives qu’ils ont entraînées avec eux s’infiltrent dans la personnalité « empoisonnant » les relations et « minant » l’image de soi. C’est pourquoi il est nécessaire de retourner dans le passé, « déterrer » les souvenirs enfouis et les exposer à la lumière du jour. Cette rencontre avec « la vérité du passé » serait la seule manière d’atteindre la compréhension, la guérison et la délivrance.
Pratiques de ces thérapies abusives
Pour aider les patients à retrouver leurs souvenirs, la thérapeute Susan Forward explique dans son livre « Betrayal of Innocence » (trahison de l’innocence) sa méthode lorsqu’elle se trouve face à une patiente. Elle leur dit « Vous savez, d’après mon expérience beaucoup de gens, qui ont des problèmes semblables aux vôtres, ont eu une mauvaise expérience dans leur enfance ; ils ont été par exemple molestés ou battus. Peut-être quelque chose de semblable vous est-il arrivé ? ».
D’autres praticiens proposent d’intervenir directement en disant, par exemple, « J’ai l’impression, à vous entendre, que vous avez été abusé sexuellement dans votre enfance. »
Les psychothérapeutes Maltz et Hohnan, auteurs de « Incest and Sexuality », donneraient le conseil suivant à leurs collègues : « Lorsque des survivantes ne peuvent pas se rappeler leur enfance, ou n’en ont que des souvenirs flous, il faut toujours considérer l’inceste comme une possibilité « . De même, le psychothérapeute Beverly Engel explique à ses patients : » Si vous avez le moindre doute, si vous en avez un souvenir même très vague, alors cela s’est probablement passé « . Aussi, Bass et Davis confirment la théorie : » Si vous pensez que vous avez été abusée et si votre vie en montre les symptômes, c’est que vous l’avez été « .
Analyse
Il a clairement été démontré que des incitations à imaginer un événement fictif augmentent la probabilité d’inventer des souvenirs.
Pour Boris Cyrulnïk, neuropsychiatre, les incestes fantasmatiques sont courants. Il suffit que l’inceste soit mis en vedette par le discours culturel pour que se manifeste un grand nombre d’incestes allégués. Selon lui, le psychothérapeute y est pour quelque chose, qui, par son pouvoir de suggestion, transforme un fantasme en souvenir. Les thérapeutes sont invités à suivre leurs patients au lieu de les précéder, à n’exercer aucune pression sur eux.
Nous ne pouvons pas dire que tous les souvenirs de violences sexuelles retrouvés après avoir été refoulés sont faux puisque de nombreux cas prouvent le contraire. De même, nous ne pouvons pas dire qu’ils sont tous vrais puisque l’on sait que la mémoire aurait une nature créative : les faux souvenirs existent, on sait même les fabriquer. D’où l’exigence, qu’aucun témoignage alléguant des violences sexuelles ne soit admis en justice sans preuves à l’appui : aveux de l’accusé, autres témoignages, examens médicaux…