Émotion et faux souvenirs d’enfance

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Émotion et faux souvenirs d’enfance

13 mai 2008 par Frank Arnould - CNRS -

Peut-on distinguer les vrais des faux souvenirs d’enfance en fonction de leur contenu émotionnel ?

Selon toute vraisemblance, seules les expériences émotionnelles vécues devraient générer des souvenirs émotionnels. Une étude conduite par les psychologues Cara Laney et Elizabeth Loftus montre, au contraire, qu’il est difficile de distinguer les souvenirs authentiques des faux souvenirs d’enfance sur la base de leur contenu émotionnel subjectif (Laney & Loftus, 2008). Autrement dit, les faux souvenirs peuvent aussi être de nature émotionnelle.

Cette nouvelle expérience est originale pour plusieurs raisons. Pour la première fois, des chercheurs comparent des participants ayant de vrais ou de faux souvenirs d’un même événement d’enfance. La méthode d’implantation des faux souvenirs est également intéressante. Dans la première étape de l’étude, les personnes répondent à des questionnaires de personnalité. Ils doivent aussi indiquer s’ils pensent avoir vécu dans leur enfance vingt-six évènements émotionnels précis. Ils sont invités à qualifier le contenu affectif de chacun d’eux. Lorsqu’ils retournent au laboratoire pour la deuxième session, on leur présente une sorte de profil psychologique personnalisé basé sur les éléments d’information recueillis pendant la première phase de l’étude. En particulier, on leur annonce qu’un évènement d’enfance a fortement contribué à leur développement émotionnel : « Vous avez été hospitalisé pendant la nuit », « Vous avez surpris vos parents en train d’avoir des relations sexuelles », ou « Vous avez assisté à une altercation physiquement violente entre vos parents ».

Certaines personnes avaient estimé initialement se remémorer l’expérience retenue, alors que d’autres ne s’en étaient pas souvenues. Dans tous les cas, les personnes doivent maintenant essayer de répondre à différentes questions à propos de cet évènement, et d’en évaluer son contenu émotionnel. Les auteurs réussissent de cette façon à implanter un faux souvenir d’enfance émotionnel chez 23,6 % des participants qui déclaraient initialement être peu certains de l’avoir vécu.

Des informations présentées comme des éléments d’interprétation psychologique peuvent donc suggérer de fausses expériences autobiographiques. D’une manière similaire, des recherches expérimentales indiquent que l’interprétation d’un rêve peut encourager la formation de fausses croyances autobiographiques chez certains participants (Mazzoni & Loftus, 1998 ; Mazzoni, Lombardo, Malvagia, & Loftus, 1999).

Perdu dans un centre commercial ?

Les psychologues Elizabeth Loftus et Jacqueline Pickrell ont réussi pour la première fois à implanter un faux souvenir d’enfance émotionnel chez des étudiants d’université, résultat publié en 1995. Chaque participant de l’étude lisait quatre récits rédigés par un membre de sa famille. Ces textes décrivaient des événements présentés comme étant des expériences vécues alors qu’il était âgé de 5 ou 6 ans. L’un des récits était, en fait, totalement faux. Celui-ci racontait une aventure angoissante au cours de laquelle il s’était perdu, enfant, dans un centre commercial. Recueilli par une veille dame, il fut ensuite ramener à ses parents. A trois reprises, les participants ont essayé de se remémorer ces quatre événements autobiographiques. A la fin de l’étude, 25 % des étudiants se sont souvenus à tort, et avec plus ou moins de détails, de s’être égarés dans le centre commercial.

Références :

  • Laney, C., & Loftus, E. F. (2008). Emotional content of true and false memories. Memory, 16(5), 500-516.
  • Loftus, E. F., & Pickrell, K. L. (1995). The formation of false memories. Psychiatric Annals, 25(12), 720-725.
  • Mazzoni, G. A. L., & Loftus, E. F. (1998). Dream interpretation can change beliefs about the past. Psychotherapy : Theory, Research, Practice, Training, 35(2), 177-187.
  • Mazzoni, G. A. L., Lombardo, P., Malvagia, S., & Loftus, E. F. (1999). Dream interpretation and false beliefs. Professional Psychology : Research and Practice, 30(1), 45-50.