Source : Magazine MAXI, mai 2008
J’ai toujours été très « famille ». Comme tous les mercredis, mon mari et moi allions déjeuner chez ma fille. J’apportais du poulet rôti. Il en fallait trois, car mes petites-filles voulaient toutes une cuisse ! C’était devenu un sujet de rigolade ; le poulet du mercredi, c’était quelque chose…Ce jour-là, ma fille a semblé de mauvaise humeur. Je me demandais ce que j’avais bien pu dire qui l’avait contrariée. Je ne voyais pas…Les fois suivantes, c’était la même chose. Elle ne disait rien, mais elle semblait braquée contre nous. Jusqu’à ce mercredi où elle m’a dit : « Je préfère que vous ne veniez plus à la maison, papa et toi. » Ce qu’elle nous reprochait, elle n’a pas eu le courage de nous le dire en face. Par contre, elle en a parlé à sa « tatie », ma sœur, que j’adore.
Celle-ci, horrifiée par ce qu’elle avait appris, a préféré prendre le train pour venir me l’annoncer. Arrivée à la maison, elle m’a dit : « Voilà, Cécile vous accuse de l’avoir violée dans sa petite enfance, son père et toi. » J’ai eu envie d’hurler ! Non, pas elle ! Pas les mêmes accusations que son frère ! Mon mari était aussi désespéré que moi. Mais qu’avions-nous pu faire pour que nos enfants nous accusent de ces horreurs ? Comment pouvaient-ils imaginer ces choses, alors qu’ils avaient toujours été heureux ? Leur enfance s’était déroulée au bord de la mer, dans une maison baignée de soleil et toujours pleine de copains. Notre vie était rythmée par les fêtes d’anniversaires, les goûters. C’était mon plaisir de les déguiser et d’organiser leurs jeux.
Mes enfants ont grandi entourés d’amour…Ma fille est devenue une jeune fille ravissante. Nous avions deux adorables yorkshire, et le rituel du samedi matin, c’était de les baigner dans la salle de bains. Nous finissions trempées et ça tournait souvent à la crise de fou-rire. Nous étions si proches alors elle et moi…Avec mon fils, je partageais la passion des sciences. Il était devenu un brillant étudiant et me parlait de ce qu’il apprenait en cours. Ça me passionnait. J’étais si fière de mes enfants ! Je les adorais…Puis ma fille s’est mariée avec un garçon très sympathique et trois fillettes sont nées.
Tout allait bien dans notre vie, jusqu’au jour où Michel s’est mis à me poser des questions bizarres : « Maman, est-ce qu’il y a eu un évènement dans mon enfance qui aurait pu me traumatiser ? » Je lui ai répondu que non ! Mais il revenait à la charge à chacune de ses visites. J’ai pensé qu’il s’identifiait à son ex-petite amie, Stéphanie. Cette jeune fille : c’était un vrai rayon de soleil ! Mais elle s’était assombrie peu à peu, jusqu’au jour où elle avait brusquement accusé son père de l’avoir violée dans la petite enfance. Peu de temps après, très perturbée, elle avait quitté Michel et avait disparu. Amoureux fou, il avait été très malheureux. Je savais qu’elle consultait une thérapeute. Après la rupture, mon fils a commencé à consulter cette thérapeute, une cristallo-quelque chose. Il m’en avait vaguement parlé. Je n’y ai pas assez prêté attention…Il avait alors 33 ans. Il s’est mis à interroger toute la famille : oncles et tantes, cousins, cousines…Mais tout le monde lui faisait la même réponse : « Mais non, vous étiez très épanouis, tu n’as jamais eu aucun traumatisme ! » En cherchant bien, je me suis souvenue que quand Michel avait un an, le départ au service militaire de son père l’avait rendu inconsolable. Il avait pleuré à chaudes larmes, pendant plusieurs jours. Mais il n’avait pas l’air convaincu par cette explication.
Les mois passaient, et régulièrement, il remettait ça sur le tapis. Jusqu’à ce jour où il a fait irruption chez moi, et s’est mis à hurler : « Espèce de salope ! Partouzeuse ! Tout m’est revenu tout d’un coup : quand j’étais tout petit, j’ai assisté à des partouzes organisées par papa, et toi, tu étais complice de ce salaud ! Avoue que c’est la vérité ! » Je suis restée muette de stupéfaction. Je me suis mise à trembler comme une feuille. Comment avait-il pu se mettre ces idées dans la tête ? Le pire, c’est que je voyais bien dans ses yeux qu’il y croyait vraiment. C’était terrifiant ! Quand j’ai raconté ça à son père, il m’a regardée comme si j’étais devenue folle. Atterré, au bord des larmes, il était, comme moi, dans l’incompréhension la plus totale. J’ai compris à ce moment-là que ça n’était pas un simple phénomène d’identification à Stéphanie, mais quelque chose de beaucoup plus grave.
J’ai demandé conseil à un neuro-psychiatre qui connaissait bien ce phénomène incroyable et qui me l’a expliqué : certains thérapeutes induisent des faux souvenirs d’inceste à leur patient ! J’étais à la fois horrifiée et soulagée de comprendre enfin ce qui nous arrivait. Quand Michel venait me voir, il était rempli de haine. Il me disait que tant que nous ne reconnaîtrions pas les faits, il ne pourrait pas se reconstruire et qu’il refuserait de nous parler. Je souffrais horriblement, dans mon cœur et dans ma chair. Je n’en dormais plus ! J’avais d’énormes douleurs au ventre au point que je passais fibroscopie sur échographie. Mais on ne trouvait rien. C’était le stress et le chagrin qui me rongeaient. La seule chose qui m’a soulagée, ce sont les anti-dépresseurs…Nous ne pouvions reconnaître ces faits atroces dont il nous accusait ; il a donc cessé de nous voir. Et maintenant, ma fille…Pourquoi à son tour nous accusait-elle ? J’ai réalisé qu’il avait beaucoup perturbé sa sœur en la harcelant, elle aussi, de questions. Et il a fini par l’emmener consulter sa maudite thérapeute, qui l’a, à son tour, convaincue…
Fin 2001, mon fils avait disparu, sa sœur nous accusait à son tour et sombrait dans la dépression ; la situation devenait dangereuse pour mes petites-filles. Il était temps d’alerter les services sociaux. Bien m’en a pris car un beau jour, Cécile a porté plainte contre son mari, l’accusant d’avoir violé les petites. Elle s’est enfuie en emmenant ses filles ! Les services sociaux les ont rapidement retrouvées et ont placé les petites en foyer. Elles y sont restées deux ans ; un beau gâchis…Jusqu’à ce que la justice innocente leur père et les leur confie.
Entretemps, j’avais commencé à mener l’enquête. J’avais réussi à trouver les coordonnées de cette thérapeute qui pratiquait la cristallothérapie. Commerce lucratif, chaque séance coûtant environ 100 euros et ces thérapies durant dix, vingt ans, parfois toute une vie…Une de mes amies a bien voulu faire une séance pour me la raconter : la cristallothérapeute l’a faite allonger sur une table de soins, a posé des pierres sur son corps, et mis de la musique douce. Puis, elle a attendu. Un « guide », une personne décédée, lui a envoyé des messages qu’elle les a répétés à mon amie ; c’étaient ses souvenirs occultés qui revenaient à la surface. C’est donc ainsi que mon fils avait été persuadé par cette sorcière ! Mais comment, lui, le scientifique, avait-il pu croire à ces absurdités ? A croire qu’elle l’avait envoûté…
Je continuais à chercher des informations. J’ai fini par trouver les coordonnées de l’Adfi (voir encadré). Pendant deux ans, avec d’autres familles victimes de ces faux souvenirs, nous nous sommes réunis dans leurs locaux. J’ai vu des pères en larmes, des mères désespérées, qui, comme moi, ne comprenaient pas ce qui leur arrivaient… Nous étions si nombreux que nous avons créé notre propre association, l’Afsi qui compte aujourd’hui 300 familles…
Je dois me battre pour mes enfants comme je me serais battue s’ils avaient eu une maladie grave. Pour moi, ce sont des victimes. Il faut les tirer des mains de ces charlatans ; eux, et les générations suivantes. Car mes petites-filles ont beaucoup souffert elles aussi. Je sais que ma fille, qui a retrouvé la garde partielle de ses filles, continue à parler de nous en disant « les violeurs, les salauds ». Elles sont tiraillées entre les paroles terribles de leur maman et leur amour pour leur mamie. Je n’ai jamais revu mon fils.
La seule chose qui me donne la force de survivre, c’est mon combat auprès de l’Afsi et aussi l’espoir que l’amour de mes petites-filles ramène un jour ma fille à la raison. Avant, elles me couvraient de baisers, de câlins…J’ai des tiroirs pleins de leurs petits mots tendres. Je sais qu’elles m’aiment toujours. Alors, je rêve encore parfois de retrouver ma fille, malgré sa haine si forte. Par leur amour, j’ose encore espérer que ces petites parviendront à sauver leur maman
Les prénoms ont été changés
Qu’est-ce que les faux-souvenirs induits
Ils sont le fait de praticiens ramenant systématiquement toutes les difficultés de la personne à des souvenirs occultés depuis la prime enfance de maltraitances tels viol, inceste, dans l’entourage familial. La cristallothérapie utilise des pierres, des cristaux, censés canaliser l’énergie. Cette thérapie sans aucun fondement scientifique prétend favoriser le souvenir des traumatismes. Les souvenirs ne viennent pas du patient mais du thérapeute qui les « reçoit » au cours des séances par la voix d’une personne décédée, tel un médium. La personne est convaincue qu’elle a vraiment vécu ces viols et va se couper de toute sa famille. Les faux souvenirs induits sont très difficiles voire impossibles à « détricoter » par les véritables thérapeutes.
Difficile d’estimer le nombre de cristallothérapeutes en France. En effet, ces personnes se référencent sous d’autres appellations comme magnétiseur, coach en bien-être, lithothérapeute et sont de plus en plus nombreuses ; la police a recensé en 2005 plus de 200 méthodes de médecine douce contre 80 en 2001.
Note au public
Si l’on souhaite entamer une psychothérapie, il faut se faire conseiller par son médecin traitant qui donnera les coordonnées d’un psy compétent. En effet, grâce aux 300 familles victimes faisant partie de l’AFSI, on sait que 20% des thérapeutes incriminés sont des Médecins – Psychiatres – psychologues – qualifiés mais déviants, que 16 % sont des kinésithérapeutes, et que 64% sont des charlatans.