Faux Souvenirs et désordre de la personnalité multiple
Nicholas P. SPANOS
Edition De Boeck Université – Avril 1998
Il a été professeur de psychologie et directeur de Laboratoire d’hypnose expérimentale à l’Université Carleton de 1975 jusqu’à sa mort en 1994.
Refoulement – Amnésie infantile
Tous les visiteurs de notre site n’auront peut-être pas eu l’occasion de lire ce livre. Voici quelques extraits qui nous ont semblé intéressants pour la compréhension des faux souvenirs :
Le refoulement
Freud développa vers la fin du siècle dernier le concept de refoulement pour expliquer le soi-disant oubli des événements traumatisants qu’il croyait sous-jacent aux symptômes hystériques. Initialement, Freud considérait le refoulement comme une tentative consciente d’éviter de penser à des événements effrayants ou déplaisants. Il en vint éventuellement à conceptualiser ce processus comme entièrement inconscient…
Le concept du refoulement associé à la notion selon laquelle les problèmes des adultes ont leur source dans la prime enfance ne fut pas fondamental dans la seule pensée psychanalytique, mais devint également une part intégrante de la culture populaire américaine. (19-Torrey 1992). La notion même de refoulement implique que des événements douloureux ou effrayants ont tendance à être oubliés. En conséquence, quand quelqu’un manifeste des problèmes psychologiques qu’il ne peut rattacher à une cause, ses souvenirs d’enfance oubliés servent d’explication normale.
Dans les années 1970, quand l’attention se portait sur les victimes d’abus sexuels, sur leurs symptômes et leur traitement, les thèmes du refoulement et de l’étiologie infantile étaient adaptés à l’explication de la façon dont les souvenirs refoulés d’abus pouvaient être tenus pour responsables de l’insatisfaction qu’éprouvaient certaines femmes.
Etant donné la prépondérance du concept du refoulement et son admission incontestée dans de nombreux cercles cliniques, il est intéressant de noter que plus de 70 ans de recherche empirique n’ont pas encore abouti à la découverte d’évidences univoques à l’appui du type de processus mnémoniques postulés par cette notion ( 20- Holmes – 1974 – 1990).
REMARQUE
Nous devrions donc être plus circonspects avant d’affirmer que les événements traumatiques ont tendance à être oubliés ou, quand de tels événements le sont, avant de prétendre que le refoulement est la meilleure explication de l’oubli.
L’amnésie infantile
Freud avait noté que les gens éprouvaient des difficultés à se remémorer les souvenirs de leur jeunesse. La recherche sur la mémoire a confirmé que les souvenirs préalables à l’âge de trois ans sont rares et qu’il est quasiment impossible d’en avoir d’événements qui se sont produits à l’âge d’un ou deux ans (21- Pillemer et White – 1989). Freud en 1905 suggérait que l’incapacité à se souvenir d’événements précoces résultait du refoulement. Certains thérapeutes de la « résolution de l’inceste » se font écho de cette analyse en suggérant que ces trous de mémoire relatifs à l’enfance sont la preuve d’abus sexuels (22- Frederikson – 1992).
En réalité, les données indiquent que l’incapacité à se rappeler des événements précoces n’a rien à voir avec le refoulement ou toute autre forme d’oubli motivé. L’oubli des faits qui se sont produits avant l’âge de 3 ou 4 ans semble universel. Il porte le nom d’amnésie infantile et est associé à des processus de maturations neurales qui se poursuivent après la naissance, et donc à des changements de développement des fonctions cognitives et linguistiques qui influent sur la façon dont les enfants élaborent, retrouvent et partagent l’information (23- Howe et Courage – 1993)…
Dans le cadre de notre traitement des souvenirs retrouvés, le phénomène de l’amnésie infantile nous intéresse à deux égards. Premièrement, il explique pourquoi les enfants qui ont été réellement abusés si précocement (avant l’âge de 3 ou 4 ans) sont incapables de s’en souvenir ( Terr – 1988). Deuxièmement, il suggère que les souvenirs retrouvés en thérapies, d’abus qui se seraient produits avant l’âge approximatif de 3 ans sont très probablement des affabulations.
Néanmoins, contrairement à ce que prétendent les thérapeutes de la « résolution de l’inceste », les personnes qui ont été abusées après l’âge de 3 ou 4 ans n’ont du moins pas tendance à oublier le fait qu’elles ont été abusées. Les données existantes indiquent qu’il n’existe pas de symptômes ou d’ensemble de symptômes psychologiques spécifiques pouvant être validement utilisés pour inférer une histoire précoce d’abus.
Bref, il n’y a pas plus d ‘évidence à l’appui de la version moderne de la « théorie de la séduction », basée sur la notion de refoulement qu’il n’y en eut à l’appui de sa version originale, vite abandonnée par Freud.