Extrait de passeurdesciences.blog.lemonde.fr du 03.02.2015 : Comment convaincre aisément quelqu’un qu’il a commis un crime
C’est une donnée qui fait mal. Selon l’organisme américain Innocence Project, dont l’objectif est de faire sortir de prison celles et ceux qui ont condamnés par erreur, environ 30 % des personnes innocentées sur la base de l’ADN ont au préalable avoué un crime qu’elles n’ont pas commis. En France, un des exemples les plus mémorables de ce phénomène est celui de Patrick Dils, condamné – par deux fois – à tort pour le meurtre de deux garçons à Montigny-lès-Metz en 1986, après avoir reconnu les faits face aux enquêteurs. Si l’on met de côté les pratiques policières qui consistent à extorquer des aveux, lesquels constituent une des plus puissantes preuves retenues par la machine judiciaire, l’aspect le plus troublant du sujet tient au fait que, bien souvent, les suspects finissent par croire à la vraisemblance de l’histoire inventée qu’ils racontent, grâce à la force des « faux souvenirs ».
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Pour Julia Shaw et Stephen Porter, la facilité déconcertante avec laquelle une personne se persuade d’avoir commis un crime tient au fait que les vrais souvenirs se réactivent à l’aide de fragments éparpillés dans la mémoire et qui n’ont d’ailleurs parfois pas de lien direct avec l’histoire qu’on se rappelle. Les faux souvenirs empruntant les mêmes chemins cérébraux, au moins dans certaines régions du cortex sensoriel, ce processus de reconstruction du puzzle mémoriel ouvre la porte à la création de ce que certains chercheurs nomment les « mensonges honnêtes » ou « souvenirs fantômes ». Cela se fait d’autant plus aisément que le sujet peut, dans les situations de stress ou dans des interrogatoires répétitifs, oublier la source des indices sur lesquels il fonde son souvenir et en particulier qu’ils ont été induits… par ses interlocuteurs. « Autrement dit, résume l’étude, les éléments du souvenir imaginé disant à quoi cela aurait pu ressembler peuvent se transformer en éléments disant à quoi cela aurait ressemblé, qui, à leur tour, peuvent devenir des éléments disant à quoi cela a ressemblé. »
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